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Histoires de vie, et de vies...

Le Paladin (suite)

Quand je l'ai rencontré, ses jambes le portaient bien droit, deux belles colonnes musculeuses.

"Un homme, c'est un homme, mais un bel homme, c'est autre chose", disait Louise de Vilmorin. Elle n'avait pas tort, et plus d'un cou féminin se dévissait sur son passage.

Pourtant le Paladin, en dépit de sa silhouette dense, de son œil bleu ardoise et de son grand rire sonore, était en miettes. Derrière la façade, la face à sauver parce qu'il le fallait bien, l'homme coulait sous le poids des mots refoulés, des douleurs ravalées, des revers subis. Et là où mes copines voyaient un homme diablement séduisant, je voyais, j'entendais les pleurs étouffés d'un petit garçon qu'on avait puni à tort, et qui ne parvenait pas à devenir grand.

Un parent bienveillant donne des ailes à son enfant et se réjouit de le voir les déployer. Un parent culpabilisant est un réducteur de vie, de cœur, et d'âme. Il juge, limite, condamne. C'est un truc imparable, la culpabilité, vous avez remarqué? Les vrais responsables ne se sentent jamais coupables. Celui qui culpabilise, par contre, est foutu. Il ne peut plus rien faire de bien, ni pour lui, ni pour les autres.

Y a-t-il quelque chose de pire que de chercher à gâcher la vie de son enfant comme on a gâché la sienne?

Le Paladin m'a raconté sa vie. Il m'a raconté sa vie comme une succession d'échecs, tous prédits par son père à grandes affirmations malveillantes. Imaginez qu'à chaque fois que vous tentez quelque chose, on vous dise "C'est nul", ou "Tu vas te planter". A la longue, vous finissez par y croire. Par des actes, par des mots, on peut vous marquer au fer, même bien avant votre naissance d'ailleurs, et vous assigner une place qui n'est pas celle que vous auriez choisie, vous faire endosser une vie dans laquelle vous ne vous reconnaissez pas.

Il m'a raconté sa vie. Il me disait " Chaque fois que je veux avancer, le sol se dérobe sous mes pieds...".  Troublante intuition... 

Je n'étais pas en recherche de quoi que ce soit, de qui que ce soit. J'avais, vif comme le plaisir que j'avais à pratiquer la danse, le goût de l'indépendance. Cet homme, pourtant, a été une évidence. Immédiate. Irréversible.

 

 

Le Paladin (suite)

Toute ma vie s'est redessinée autour de lui. Il  était en miettes, je lui ai redonné vie. Il a appris à s'aimer, à aimer l'enfant qui souffrait en lui. Enfin, il a cessé de marcher avec un pied gauche dans une chaussure droite. Et, réconcilié avec lui-même, il est devenu un homme. Non, rassurez-vous, je ne vais pas faire ma Nicole Croisille et beugler que "je suis devenue feeeeeeeeeeeemme"! C'est bien parce que je l'étais déjà que j'ai été à même de l'aimer, et de l'aider.

Auprès de lui, grâce à lui, je me suis découvert une force que je ne me soupçonnais pas.

Happy end? Pas tout à fait... Plus de trente ans de violence sournoise, le corps a lâché, le sol s'est dérobé, pour de bon. La sclérose en plaques est une maladie auto- immune, le corps qui se retourne contre lui-même. Sans vouloir faire de la psychologie de comptoir, avouez qu'il y a de quoi  se questionner... 

Reste que le Paladin est devenu ce qu'il était déjà, sauf qu'il ne le savait pas: un homme courageux, entreprenant, solidaire, intelligent. Un bel homme, et un mec bien. Tel qu'en lui-même, mieux qu'en lui-même, toujours véhément, même marqué par la maladie. Il a gardé son rire sonore, ses bras si exactement dessinés pour moi, et son regard ardoisé n'a jamais, jamais reflété la moindre indifférence à la vie.

En dépit de tout ce qui lui a été dévolu d'épreuves et de douleurs, il garde en lui, merveilleusement intact, bouleversant d'intensité, un goût absolu pour la vie. Et je continue à l'aimer, à l'aimer au-delà de moi. Pour le meilleur et le meilleur. Le pire n'existe pas. Nous nous aimons.

 

 

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À propos
La Baladine

Athée, laïque, féministe assurée et romantique assumée, universaliste, républicaine, rieuse et mélancolique, résolument positive dans un monde dépressif, agitatrice de cervelle, gratteuse infatigable du vernis des humains pour voir ce qu'il y a dessous... "Je ne fais effort ni pour qu'on m'aime ni pour qu'on me suive. J'écris pour que chacun fasse son compte." Jean Giono
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A
Je découvre ce texte. Il est magnifique. La photo aussi! Bravo à la personne qui a saisi ce moment :-)
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P
Très touchant, très émouvant, et très beau. Merveilleux l'amour qui domine malgré le quotidien pas facile. Il a de la chance, mais vous en avez tous les deux d'avoir cet amour pour vous porter, même si le mot est peut être mal choisi. :)<br /> <br /> Je ne peux m'empêcher de penser à une copine qui vient de divorcer 6 ans après l'accident de moto qui a laissé son mari paralysé. Elle n'en pouvait plus, de ce quotidien, elle voulait continuer à vivre une vie de femme normale. Mais elle culpabilise à chaque instant de sa vie de ne pas l'avoir aimé assez pour supporter cela.
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L
Chacun fait ce qu'il peut comme il peut. Ma vie de femme n'est pas ordinaire, mais elle est normale, notre vie de couple est normale. Dis à ton amie qu'elle ne doit pas culpabiliser. Se sacrifier ne sert à rien, sinon à rendre tout le monde malheureux.
A
Merci, tout simplement.<br /> Cet homme a beaucoup de chance.<br /> Votre billet me parle, en tant qu'homme multi saccagé et rongé par la culpabilité de fautes qui ont été déposées en moi depuis tout petit, faute d'avoir été tout simplement aimé. Je suis le plus nul des amants. Je n'en veux pas à mes parents qui étaient trop jeunes et ignorants. Je fais ce que je peux pour panser une béance et retrouve toujours sur ma route des êtres qui sauront l'identifier dans un regard que je n'offre pourtant pas facilement. C'est très facile de tuer le coeur d'un homme; il suffit d'aspirer tout ce qui vibre en lui sans jamais lui dire qu'il est tout simplement "Beau". <br /> Nous ne sommes malheureusement pas tous égaux face à l'amour et au besoin de reconnaissance. Pour moi, l'amour est un néant, une relation systématiquement non réciproque. Quand à la reconnaissance du coeur, celle-ci n'est pas venue; mais je ne désespère pas. Bon... je suis désolé de m'épancher de cette façon. Votre texte m'a touché. Et je reviendrai vous lire avec plaisir.<br /> Alban
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L
Je ne sais que dire... Je ne pensais pas que mes quelques lignes, écrites pour panser les blessures de l'homme que j'aime, pouvaient résonner à ce point dans d'autres vies, d'autres âmes, d'autres cœurs... Vous me touchez au-delà de l'imaginable... L'amour vrai, qui se donne sans rien réclamer en retour, est la chose la plus mal partagée au monde, et la plus essentielle. <br /> Je vous embrasse... Je t'embrasse. Epanche-toi autant que besoin se fait sentir... La maison est ouverte.<br /> ♫♫♫
M
Magnifique, un témoignage poignant car on pourrait penser qu'un conjoint peu sûr de lui cherche à rabaisser l'autre. Mais je vois deux êtres grandis l'un par l'autre et ce malgré la maladie, comme si celle-ci n'était qu'un obstacle comme un autre sur le chemin d'une vie à deux. Toute mon admiration!
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L
L'amour est le plus puissant des moteurs...
M
Une force commune au-dessus de tout le reste, un lien indestructible, les montagnes pour vous n'existent pas ou alors vous les rabotez petit à petit ... A deux! Bravo! Un témoignage poignant car pas d'effet boule de neige mais tout le contre pied au contraire. Personnellement, je sais aussi ce qu'est la dévalorisation de soi, hélas!
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L
Tu as su développer des trésors de sensibilité, d'attention aux autres, d'ouverture au monde, tu es une belle personne, ma chère Mansfield!
J
Très émouvant. Je connais deux personnes qui ont une sclérose en plaque. Les conjoints sont partis, courage fuyons !<br /> Mais peut-on rester avec quelqu'un par pitié. Peut-être l'amour n'était il plus là. Nous n'avons pas le droit de juger, en tout cas, l'un des deux qui est parti est mort d'un cancer, dans une grande souffrance ...<br /> La maladie détruit souvent les couples mais c'est aussi un formidable lien pour combattre, pour vivre comme si elle n'était pas là.
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L
Je conçois très bien qu'on puisse tourner les talons, que ce soit par manque d'amour ou parce qu'on ne se sent pas les épaules... De toute façon, rester en ayant le sentiment de se sacrifier serait pire, je crois, pour le malade comme pour l'aidant... Comme tu le dis, nous avons réussi à rester un couple, même si ça n'a pas été un chemin pavé de pétales de roses ;-)
L
Difficile de trouver les mots. Tu le dis si bien, vous vous aimez et c'est ce qui importe.
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L
Le regard bienveillant, oui, c'est primordial. Tous les pères ne l'ont pas, et ça peut faire du dégât...
L
Comment peut-on brimer un enfant? Ils sont le futur... Autant leur donner toutes les chances.
L
Oui, c'est une clef, quand il se donne (et se reçoit) sans compter... Mais, comme l'a dit Heure Bleue, un bon psy, ça aide aussi, surtout quand la maladie se pointe; la sienne l'a aidée à démêler bien des nœuds...
L
Tu l'as découvert sous la gangue d'une éducation malfaisante.<br /> Faut du talent, de l'amour et de la patience pour ça.<br /> En plus vous êtes beaux !<br /> La vache, que vous êtes beaux !
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L
Oui, je sais, j'ai vu. Je t'admire aussi pour ça. (sinon, je crois bien qu'avant moi, le Paladin n'a connu que des brunes).
L
Je ne censure pas.<br /> Je réponds et je laisse.<br /> Parfois je fais une note pour répondre à un commentaire particulièrement malfaisant.<br /> Pour ce qui est de pourrir quelqu'un avec cruauté et causticité, je sais faire.<br /> Généralement ils ne reviennent pas...
L
Oui j'ai eu quelques réactions... pas franchement cordiales... du coup je prends le temps de la modération... Je veux bien discuter, lire des arguments contraires et y répondre, mais les injures et la vulgarité, ce n'est pas mon truc. :-) Ton comm est visible!
L
Tu filtres ?<br /> On t'a embêtée ?<br /> Mon comm n'est pas paru...
L
C'est curieux cette attirance entre les claires et les bruns.
L
Je te l'ai dit, c'est l'amour qui fait tout le boulot, et c'est un travailleur acharné, quand on l'a chevillé au corps comme moi!<br /> Merci pour le compliment, c'est surtout la photo qui est assez réussie... "Nous étions jeunes et larges d'épaules..." enfin surtout moi ;-)
C
un très bon blog
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L
C'est gentil, mais vous seriez aimable de vous abstenir d'avancer ainsi masqué. J'aime pas la pub, d'autant plus quand elle s'impose de façon aussi malhonnête.
H
Aimer, c'est le bon mot, vous serez toujours beaux.
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L
Merci Heure Bleue! Je crois qu'on peut sans se tromper en dire autant de toi et du Goût!
M
Oui, bouleversant! Je suis très émue par tes mots<br /> Parfois on se dit que la vie vaut la peine d'être vécue quand on découvre la force de l'amour<br /> merci Balaline
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L
Merci d'être passée et de laisser tes mots. Oui la vie est belle, et précieuse! Aimons!
C
Bouleversant, ton témoignage. Je suis muette...<br /> Je n'ai pas d'autres mots, ce soir.<br /> ¸¸.•*¨*• ☆
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L
Il y a longtemps que je pose mes mots sur ses maux, et l'amour sur ses blessures... Il fallait que ça sorte, même si ça n'est pas du goût de tout le monde. Merci pour ton émotion. Je t'embrasse, ma Céleste.