Histoires de vie, et de vies...
Le site Slate a relayé un article de la revue Nature, qui compile 70 ans d'études parues dans 60 pays auprès de 570 000 personnes, rien que ça. Je vous le livre à mon tour. Et non, je ne suis pas en train de dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
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Une majorité de personnes ont le sentiment que la société a perdu en valeurs morales depuis leur naissance, alors qu'aucune enquête n'a mesuré un tel phénomène: c'est la conclusion d'une étude publiée début juin dans la revue scientifique Nature. Deux chercheurs américains, Adam Mastroianni de l'Université de Columbia, et Daniel Gilbert, d'Harvard, ont compilé toutes les études, dans soixante pays différents et depuis soixante-dix ans, qui ont interrogé leurs participants au sujet des valeurs morales telles que la gentillesse, l'honnêteté et l'altruisme.
Dans leur article «The illusion of moral decline» («L'illusion d'un déclin moral»), ils rapportent que sur plus de 220.000 Américains interrogés entre 1949 et 2019, 84% considéraient que les valeurs morales étaient en déclin. Le résultat des enquêtes menées ailleurs est très proche: sur plus de 354.000 participants interrogés dans cinquante-neuf autres pays, entre 1996 et 2007, un peu plus de 86% trouvaient que la société devenait de plus en plus immorale.
En affinant les résultats, les chercheurs ont constaté que les participants de toutes ces enquêtes attribuaient ce déclin moral à la fois au fait que les gens devenaient de moins en moins vertueux avec l'âge, et au fait que les jeunes générations étaient plus immorales que leurs aînées.
Face à ce tableau très pessimiste, les deux auteurs ont cherché des enquêtes qui permettraient de quantifier le niveau des qualités morales à travers les époques, pour voir si cette impression était justifiée. Ils notent déjà que si l'on s'intéresse aux crimes, aux guerres, aux colonisations ou encore à l'esclavage, on trouve des indicateurs objectifs d'une amélioration générale de la façon dont les humains se côtoient sur la planète. Mais peut-être en est-il différemment de «la moralité de tous les jours», plus difficile à mesurer objectivement.
Ils ont alors compilé les résultats d'enquêtes qui posaient des questions telles que: «Avez-vous été traité(e) avec respect hier toute la journée?», «Diriez-vous que la plupart du temps, les gens essaient d'aider les autres, ou bien qu'ils ne pensent qu'à eux-mêmes?», ou encore: «Au cours des douze derniers mois, combien de fois avez-vous aidé un(e) inconnu(e) à porter ses courses, sa valise ou son sac?»
Sur plus de quatre millions de personnes interrogées entre 1965 et 2020, «la moralité que les participants rapportaient chez leurs contemporains était stable dans le temps», écrivent les deux chercheurs. Ce résultat «suggère fortement que l'impression très commune d'un déclin moral est une illusion», analysent-ils.
Si ce n'est qu'une impression, pourquoi cette croyance est-elle aussi largement partagée, à travers les époques comme les pays? Pour répondre à cette question, Mastroianni et Gilbert pointent du doigt deux «phénomènes psychologiques bien connus»: le biais qui nous pousse à prêter davantage attention aux informations négatives qu'aux positives autour de nous, et le biais qui fait que l'on se souvient mieux des événements positifs que des négatifs dans notre passé.
Les biais cognitifs, erreurs de raisonnement dues à une réflexion trop courte, facile et rapide, sont l'un des sujets d'étude de Pascal Wagner-Egger, enseignant-chercheur en psychologie sociale et en statistique à l'Université de Fribourg. Il a coécrit avec Gilles Bellevaut le livre Méfiez-vous de votre cerveau – 30 biais cognitifs décrits et expliqués pour moins se tromper et mieux raisonner, paru en octobre 2022.
Il y évoque, entre autres, le biais de négativité, qui nous fait «préférer les informations négatives aux informations positives», et le biais de pessimisme, qui nous fait «idéaliser le passé par rapport au présent».
«On commet une erreur en percevant le passé comme différent de ce qu'il était réellement, ou en mémorisant seulement une partie des informations, avec une tendance à se souvenir plutôt des choses positives», explique-t-il. Au fait d'idéaliser le passé s'ajoute celui de ne prêter attention qu'au négatif dans le présent.
Dans son livre, Pascal Wagner-Egger donne quelques exemples pour comprendre ce qu'est le biais de négativité: «Une commande reçue avec un jour de retard provoquera comparativement plus de contrariété que la joie de la recevoir avec un jour d'avance», ou «le fait que les trains soient à l'heure n'est pas très intéressant, contrairement aux trains en retard, et encore plus aux accidents de trains».
«Plusieurs biais peuvent s'ajouter les uns aux autres», indique-t-il, et c'est peut-être ce qui fait que l'impression d'un déclin moral est aussi largement répandue. Par ailleurs, «à cela peuvent s'ajouter des motivations sociales ou politiques», remarque Pascal Wagner-Egger. C'est notamment le cas au sein de la droite conservatrice ou de l'extrême droite, qui entretiennent souvent l'argument d'un passé plus heureux. Dans leur article, les deux chercheurs américains font ce constat en citant le célèbre slogan de Donald Trump «Make America Great Again».
Pascal Wagner-Egger a travaillé sur les biais cognitifs liés aux théories du complot. Il cite par exemple le fait de prendre une coïncidence pour un lien de causalité, ou encore le biais de proportionnalité, qui nous pousse à croire qu'un événement important a forcément une cause importante («par exemple, la difficulté à penser que Diana est morte d'un simple accident de la route»). De plus, ce que l'on appelle le «biais du point aveugle» fait que l'on sous-estime notre propre risque d'être victime des biais cognitifs.
Le fait d'idéaliser le passé par rapport au présent est une façon de penser tellement répandue que l'on retrouve la fameuse phrase «c'était mieux avant» dans des sources anciennes. L'article «The illusion of moral decline» cite par exemple Tite-Live, auteur romain du premier siècle avant Jésus-Christ, qui écrivait déjà sur un «effondrement des fondements de la moralité» qui a mené à «l'aube sombre de notre époque moderne».
Sans remonter aussi loin, le chercheur de l'Université canadienne de Calgary Paul Fairie publie régulièrement sur Twitter des extraits de journaux à travers les décennies contenant des phrases telles que «Plus personne ne veut travailler» ou «Les enfants d'aujourd'hui sont mal élevés». Il a trouvé la première phrase dans des publications de 1916, 1905 ou encore 1894, et la seconde jusqu'en 1829.
Pour ne pas se faire avoir par ces biais de pensée, Pascal Wagner-Egger indique que «déjà, en être conscient permet en partie de les déjouer». Il mentionne une théorie selon laquelle notre pensée se compose de deux modes: «Un système 1 qui est intuitif, rapide, utile pour la survie, et un système 2 qui est plus lent, plus analytique, et qui permet par exemple de corriger les biais en faisant un effort intellectuel.»
En réponse à une personne qui prétend que l'époque actuelle n'est que décadence, il estime que la meilleure solution est de la renseigner sur l'existence des biais cognitifs, pour qu'elle puisse elle-même se rendre compte de son erreur. «Dire à la personne qu'elle se trompe est souvent contreproductif, la personne se vexe et se braque.»
Le chercheur a d'ailleurs remarqué que lorsqu'il donne des conférences sur le sujet, les personnes présentes dans le public font souvent le rapprochement avec certaines de leurs croyances ou façons de penser, sans y avoir été obligées.
Être conscient de l'influence des biais cognitifs sur nos pensées est primordial car, comme l'écrivent les chercheurs Mastroianni et Gilbert dans leur conclusion, ces opinions ont des effets sur nos comportements: «La recherche montre que les gens sont réticents à se faire aider par des inconnus parce qu'ils sous-estiment la bonne volonté de ces personnes à le faire. L'illusion d'un déclin moral est peut-être l'une des raisons pour lesquelles les gens ne comptent pas autant qu'ils le pourraient sur la gentillesse des inconnus, ce qui peut avoir pour conséquence d'alimenter l'illusion.»
Athée, laïque, féministe assurée et romantique assumée, universaliste, républicaine, rieuse et mélancolique, résolument positive dans un monde dépressif, agitatrice de cervelle, gratteuse infatigable du vernis des humains pour voir ce qu'il y a dessous...
"Je ne fais effort ni pour qu'on m'aime ni pour qu'on me suive. J'écris pour que chacun fasse son compte." Jean Giono
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