Histoires de vie, et de vies...
21 Avril 2020
Ce billet n'est pas le mien, mais celui d'Edouard Baer, dandy désenchanté, drôle, absurde et poétique. Je vous le livre ici, monologue labyrinthique qui prend sens au fil des mots, parce que je vous aime, parce qu'on apprend tellement de soi en écoutant les autres, parce que ce type a le génie de l'improvisation, de la tendresse partagée, du verbe qui danse, des mots toujours en haleine, qu'il a su garder intacte sa capacité d'émerveillement, parce que le goût des mots, la conscience du malheur et l'appétit du bonheur, parce que la candeur et la poésie, parce que la musique de Ferré, parce que parfois, "l'important, c'est de trouver ce qu'on n'attendait pas".* *
Vous pouvez l'écouter, en cliquant sur le lien ci-dessus en bleu, le lire aussi, retranscrit plus bas, l'important est d'en entendre le sens, la poésie folle. Comme une moelle épinière, l'espérance court dans l'os des mots, les anime et les hallucine avec une force intensément vibrante, celle de la vie.
Monologue, confinement, 16 avril 2020, Edouard Baer:
"Tu es comme un lion dans ta cage, aujourd'hui. Bien sûr, bien sûr au début ça allait, tu te disais c'est bien, c'est l'occasion de rencontrer cette personne avec qui je vis depuis tant d'années, que je ne connais pas, que j'ai cherché à éviter, à changer de trottoir quand elle passait, moi-même... Bien sûr tu ne t'intéressais pas plus que ça, ou parfois trop. C'est difficile la bonne distance avec soi-même, et puis là, l'immobilité t'a rendu à ça, la distance que tu n'as pas choisie.
Parfois ce qu'on ne choisit pas dans la vie c'est ce qui nous sauve. C'est ce qui nous sauve. Bien sûr ça ne fait pas de bien sur le moment. C'est la souffrance. C'est ce qu'on a évité. Ce qu'on a évité nous arrive. La vie c'est ce qui se passe quand tout ce qu'on avait prévu n'a pas eu lieu.
Mais là, là ça fait trop longtemps ou pas assez. Tu ne peux pas abolir complètement le temps. Tu ne peux pas te dire, non, c'est l'immobilité pour toujours.Parce que le mois des 30 dimanches ou l'année des 365 jours ça ne marche pas. S'il n'y a plus quelque chose contre lequel lutter, contre lequel s'accrocher, des aspérités, c'est invivable tout ça, le vice, la misère et l'ennui... Alors, alors toi tu veux avancer parce que la vie s'arrêtera, tu voudrais avoir fait quelque chose, avoir vécu un peu avant de mourir.
Bien sûr, tu sais que tu as de la chance. La seule chose qu'on t'aie demandée c'est ça, cet arrêt, cette immobilité. Bien sûr tu sais les souffrances, tu les entends, tu les vois autour de toi, tu les as touchées du doigt.
Mais dehors... dehors... c'est quand même le printemps. Je sais pas si c'est un printemps inutile ou pour personne, en tout cas, à travers les vasistas un peu pourris d'une chambre de gamin, d'un 2 mètres sur 3 ou du palais d'un prince, le même printemps qui est là, provoquant avec ses lilas, avec des fleurs dont tu ne connais pas le nom, mais que tu devines et que tu regrettes.
Et puis ce printemps, tu vas y aller, tu vas descendre dedans, tu sais que c'est pour bientôt, tu sais que tu vas souffler, tu le sais, quand l'espace public sera rendu à tous, qu'on sera à nouveau peau contre peau, sourires contre sourires, là, proches les uns des autres, même petit à petit, même lentement, même si c'est pas le premier jour, ça arrive, ça monte, ça vient, ce printemps, on va l'attraper avec les dents..."
*Illustration et titre, crédit Radio France
**La citation exacte de Samuel Ting : "L'important, c'est de trouver ce que vous n'attendiez pas".
Athée, laïque, féministe assurée et romantique assumée, universaliste, républicaine, rieuse et mélancolique, résolument positive dans un monde dépressif, agitatrice de cervelle, gratteuse infatigable du vernis des humains pour voir ce qu'il y a dessous...
"Je ne fais effort ni pour qu'on m'aime ni pour qu'on me suive. J'écris pour que chacun fasse son compte." Jean Giono
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