Histoires de vie, et de vies...
7 Avril 2020
Avril. Ce pourrait être des jours parfaits. Entre ciel et mer. Bercés d'une lenteur qui fait du bien. On occuperait les heures à parler aux oiseaux, à caresser le chien, à jouer avec des chats errants. Tout ce qui n'a aucune importance aux yeux du monde, mais qui pour soi est essentiel. Redécorer la maison, mettre des fleurs dans les vases. Parfois, souvent, on lèverait le nez pour regarder le ciel, on y surprendrait la face penchée d'une lune gibbeuse et transparente dans un ciel d'un bleu de papier buvard, blanc à l'horizon, là-bas loin sur la mer. Le soir, on allumerait un feu pour faire griller des légumes, de la feta. Un filet d'huile d'olive, de la menthe et du citron. Simplicité, perfection. Sous le même ciel vertigineux, noir comme l'eau d'un puits, frissonnant d'astres, on siroterait un vin suave, à la belle étoile (singulière expression, en est-il une laide quelque part?)...
Avril. Confinement. Durée longue. Un microorganisme, invisible, imperceptible, a décidé de signaler sa présence au monde. Flagrante. Déflagrante. L'humanité n'est qu'une forme de vie comme une autre, il nous faut nous mettre de côté pour éviter un choc trop violent. Nous voici à l'épreuve, nous tous, qui de la maladie, qui de la monotonie, qui de la mort, qui de l'anxiété, qui de la saturation.
Être indemne, du moins jusqu'ici, est essentiel. Pas de symptôme. Pas d'angoisse pour un aimé sous respirateur. Pas de deuil impossible à vivre. Rester chez soi. Seule discipline à s'imposer vis-à-vis du monde, celle du rien. Un rien qui protège le tout, et d'abord tous ceux qui sont en première ligne, soignants, caissiers, livreurs, éboueurs, agriculteurs, chauffeurs, aides à domicile, bénévoles, tous ceux qui n'ont pas forcément la possibilité de se protéger bien, et mobilisent au jour le jour leur courage et leur détermination à maintenir le lien social. Nous, il ne nous est rien demandé, sinon nous mettre en retrait pour ne pas nuire.
On entend ceux qui parlent de pause bénéfique, d'épreuve salutaire. Je ne peux m'empêcher de me demander qui peut ou veut s'offrir ce luxe. L'immobilisme n'est pas un repos quand il est subi. Il est source d'angoisse, de stress, parfois mortifère. La liste est longue de ceux à qui la peur mord le ventre, de l'indépendant à l'isolé, du précaire au malade chronique, de l'addict au vieillard esseulé... et celui qui n'a pu enterrer un aimé... On y pense. Et on se tait.
On entend ceux qui parlent de flagellation, venue d'un dieu, d'une terre ou d'un mode de vie. Voire des trois. Entre variole, peste, syphilis, choléra, polio, grippe espagnole, ebola, VIH, la rumeur inlassablement invite au fantasme et à la déraison. Au complotisme. L'opportunisme idéologique n'a pas de limite. Le futur est toujours aisé à prédire quand il est passé. La moindre horloge cassée donne l'heure exacte deux fois par jour. Et les inconséquents d'hier sont trop souvent les raisonneurs d'aujourd'hui.
L'heure n'est pas aux polémiques, à la recherche de coupables commodes, à compter les points. Ce qui est à l'épreuve, c'est l'amour des hommes, le sens du collectif, la solidarité, la résilience. La pandémie révèle la lâcheté des uns et le courage des autres. Solidarité et générosité sont les guides des héros ordinaires, tels que ceux que je vois à l'œuvre dans ma campagne de bord de mer, où des Maxime, Anne, Xavier se mobilisent jour après jour pour tous et pour chacun, mûs par ce formidable élan de solidarité qui conduit à ne pas désespérer de l'humain.
Cette nuit, la lune sera pleine, et belle, même masquée de nuages doux. Elle continuera son cycle, le même depuis la nuit des temps, et le mouvement solidaire, humaniste et humanitaire continuera à lutter contre le mal. Ce que nous révèle cette crise, aussi, c'est que le génie citoyen se multiplie plus vite que le coronavirus. Habiter le réel, nourrir la confiance vitale, c'est tout ce dont nous avons besoin. Sous la clarté d'une lune de jour, ou de nuit. D'un avril à l'autre. Pour retrouver l'humanité. Et les cerfs-volants...
Athée, laïque, féministe assurée et romantique assumée, universaliste, républicaine, rieuse et mélancolique, résolument positive dans un monde dépressif, agitatrice de cervelle, gratteuse infatigable du vernis des humains pour voir ce qu'il y a dessous...
"Je ne fais effort ni pour qu'on m'aime ni pour qu'on me suive. J'écris pour que chacun fasse son compte." Jean Giono
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