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Histoires de vie, et de vies...

Silence, on tue!

Silence, on tue!

Ces dernières semaines, j'ai eu une idée bizarre, voire un peu glauque, qui m'a amenée à me livrer à un petit travail de documentariste. Edifiant.  Autant vous le dire tout de suite, si vous êtes en mal de rose, de bleu et de lumière, quittez cette lecture sur le champ, parce que cet article sera comme cette semaine de novembre, glaçant. Et vous ne pourrez pas dire que je ne vous ai pas prévenu(e)s. Si vous poursuivez, vous éprouverez sans doute de la colère, un sentiment d'horreur, c'est normal. C'est humain. Mais au moins, quand on sait, on peut choisir, et surtout choisir de ne plus fermer les yeux.

Elle s'appelait Tara Fares. Elle avait 22 ans. Emancipée, indépendante, brandissant la liberté de son corps tatoué comme un étendard sur les réseaux sociaux. Abattue en pleine rue à Bagdad le 27 septembre dernier.  Tout comme avant elle, quelques semaines avant, Souad al-Ali, militante pour les droits de l'homme, Ratif al-Yassiri, chirurgienne,  Racha al-Hassan, directrice d'un centre esthétique. Insolemment belles, insupportablement libres.

Partout dans le monde, probablement depuis que le monde est monde, ou quasi, des femmes meurent juste parce qu'elles sont des femmes et qu'elles ont voulu être libres. Pourquoi? Parce que partout dans le monde, il se trouve des hommes pour penser que les femmes leur appartiennent, au point de les préférer mortes plutôt que libres. 

Comme Meena Keshwar Kamal, bouleversante poétesse et fervente activiste féministe afghane assassinée en 1987. Ou ces 14 étudiantes de l'école Polytechnique de Montréal tombées sous les balles du fusil d'assaut d'un homme qui disait haïr les féministes, 2 ans plus tard.

Comme Katia Benganaj, jeune Algérienne de 16 ans, assassinée en 1994 parce qu'elle refusait de porter le voile.  Ou Flores Diaz, 17 ans, morte en 1995 dans une cellule punitive de La Havane.  Ou encore Nadia Sidiqi, responsable du département des affaires féminines en Afghanistan, abattue en 2012, et Hanifa Safi au même poste six mois auparavant. Aussi Salwa Bouguiguis, avocate et militante, tuée d'une balle dans la tête en 2014 en Libye. 

Silence, on tue!
Silence, on tue!

Tout comme les 36 militantes féministes mexicaines assassinées entre 2010 et 2015 au Mexique dans une impunité quasi-totale. Comme Emilsen Manyoma, Colombienne militante des droits de l'homme, tuée à l'arme blanche  en 2017.  Ou Gauri Lankesh, abattue la même année en Inde, qui dénonçait la domination hindouiste qui traitent les femmes "comme des créatures de seconde zone". Et Daphné Caruana Galizia, blogueuse maltaise luttant contre la corruption. Ou Marielle Franco, issue de la favela, symbole solaire de la lutte des femmes noires brésiliennes, assassinée le 15 mars dernier à Rio. 

Et encore Anna Politkovskaïa, Anastasia Babourova, Natalia Estemirova, journalistes dénonciatrices de faits arbitraires, assassinées au même titre que n'importe quel opposant à Poutine. Et Kim Wall, 30 ans, brillante journaliste suédoise tuée et démembrée en août 2017. Et Viktoria Marinova, journaliste bulgare  violée et étranglée le 6 octobre dernier. La liste n'est évidemment pas exhaustive. Evidemment.

Silence, on tue!

Et puis les anonymes, par milliers, en Inde, au Yémen, en Syrie, en Grande-Bretagne, en Argentine, en Suède... Partout. La femme, arme de guerre, ou geste de possession ultime.

Tout comme en France.  Elles s'appelaient Séverine, Nadia, Laurie, Jessica, Candice, Sylvie, Nathalie, Estelle, Nelly, Nabila, Annie, Delphine, Catherine, Jacqueline, Linda, Alicia, Céline, Roxane, Maria, Elodie, Réjane, Marion, Sonia, Graziella, Lucie, Souad, Linda, Manuela, Corinne, Stéphanie, Charlotte, Hélène, Isabelle, Fatima, Danielle, Jasmine, Marie-Amélie, Laetitia... 108 à ce jour. La plus jeune avait 14 ans, la plus âgée 80. Elles ont en commun le fait d'avoir été tuées par un intime, un "petit ami", un amant, un mari, un ex. Parce qu'elles ont voulu partir, ou sont parties, parce qu'elles ont refusé un rapport sexuel, ou en ont eu avec un autre. Parfois parce que l'homme est malade, condamné, ou beaucoup plus vieux, et qu'il ne supporte pas l'idée qu'elle puisse lui survivre. Parfois les enfants sont là. Ça fait tout juste un entrefilet dans le journal local, régional. Comme s'il ne s'agissait pas d'un problème national. D'un véritable problème de société. Et je n'oublie pas celles qui meurent dans la rue, leur précarité, la violence exacerbée. Plus exposées, parce qu'elles sont des femmes.

Le féminicide existe bel et bien, et continuera d'exister aussi longtemps qu'on ne se décidera pas à regarder l'horreur en face. Reconnaître et nommer les choses pour se mettre en capacité de les combattre. Cesser définitivement de considérer que le meurtre d'une femme, parce qu'elle est une femme, se réduit à un banal fait divers, que les violences faites aux femmes sont un non sujet.  Parce que ce soir, demain, après-demain, un autre prénom viendra allonger la liste. Une autre femme. Parce qu'elle est une femme.

Silence, on tue!

Photos: Tara Fares, Marielle Franco, Meena Keshwar Kamal, Natalia Estemirova, Kim Wall...

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À propos
La Baladine

Athée, laïque, féministe assurée et romantique assumée, universaliste, républicaine, rieuse et mélancolique, résolument positive dans un monde dépressif, agitatrice de cervelle, gratteuse infatigable du vernis des humains pour voir ce qu'il y a dessous... "Je ne fais effort ni pour qu'on m'aime ni pour qu'on me suive. J'écris pour que chacun fasse son compte." Jean Giono
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N
On en est à ne même plus savoir, tant il y en a partout, de ces assassinats, qui font pleurer de rage et de chagrin, poings serrés et la boule au ventre. Et même quand ces femmes-rarement- sont "libérées" je pense à cette Algérienne dont j'ai oublié le nom, désolée, et qui doit se cacher,, après jugement, un contrat de mort sur elle, et quand je pense à cet homme relaxé pour viol car sa culture n'est pas la nôtre vis-à-vis des femmes (oui, je sais mes informations sont approximatives mais on peut les retrouver) ... il y en a tant ! Je suis prête à m'engager et à manifester pour cette cause-là (même si je ne suis jamais au courant) et je loue le courage de ceux, de celles qui se battent pour que ce monde insensé tienne compte de la moitié de la planète et ça, dans tous les pays !) Merci pour l'article.
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L
Merci pour avoir pris le temps de venir poser tes mots ici, toi qui n'es pas bien ces jours-ci. La marche du 24 était prévue depuis des mois, hélas un brouillard jaune est venu escamoter l'ampleur du mouvement.... Comme d'hab, le sujet des violences sexistes et sexuelles contre les femmes est relégué au second plan. Mais nous ne lâcherons rien. Nous n'avons jamais lâché.<br /> :-)
X
Très difficile de poser un commentaire sur tes mots, sur ton travail de recherche. En lisant ces horreurs faites aux femmes, je ne me sens pas fier. En tant qu'homme, respectueux de l'autre partie de l'humanité, je le suis. L'homme est un loup pour l'homme. Ceux qui sont plus sensibles peuvent se faire broyer par les mêmes. Rien de comparable avec la domination exercée sur les femmes, les enfants, les faibles, les petits, les... les... les... La liste est très longue.<br /> Comment ne pas être consterné...<br /> Est-ce le fruit du hasard ? Avant de lire ton billet, je tombe sur cette info, à la radio : En chine, une femme écrivain, une écrivaine, a été condamné à dix ans de prison, pour avoir publier un livre érotique. Quel crime ! <br /> <br /> "L'avenir de l'homme est la femme. Elle est la couleur de son âme. Elle est sa rumeur et son bruit. Et sans elle, il n'est qu'un blasphème" Louis Aragon<br /> <br /> Même avec elles, certains, beaucoup trop, sont des "blasphèmes".<br /> <br /> Bises féministes
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L
Je comprends très bien la difficulté à commenter, puisque je me contente d'égrener des faits avérés. <br /> La seule chose dont je sois certaine, c'est qu'il faut continuer à en parler. A demander aux femmes, aux filles ce qu'elles vivent; A parler aux hommes, à leur expliquer, car souvent, ils se contentent d'appliquer des "rites" dont personne ne leur a dit qu'ils pouvaient être mis en question.<br /> Donc questionner, écouter, comprendre, soutenir, éduquer. Bref, agir. <br /> La moitié de l'humanité le vaut bien ;-)<br /> Merci de ton passage.<br /> Bise solidaire
A
Le lien ne s'est pas mis correctement..<br /> <br /> Sur mon blog à gauche, dans la catégorie PAGES il faut cliquer sur "ELLES"<br /> Bon week-end!
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L
Si si, le lien est bon ;-)
A
Peut-être t'avais-je déjà montré ce texte<br /> http://enviededouceur.canalblog.com/pages/elles/34790887.html<br /> si c'est le cas, navrée pour le doublon ;-)<br /> <br /> Bonne journée à toi :-)
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L
Oui tu m'avais montré, mais ne soi pas navrée, on ne parlera jamais trop. Jamais! Il faut dire, redire, et encore, et toujours. Ne plus jamais nous taire!<br /> :-)
B
En tant qu'homme en lisant, écoutant ces faits divers et tant d'autres,j'ai honte des faits de ces masses d'hommes et de ces quelques femmes au comportement imitant les plus farouches actes masculins.<br /> <br /> Bleck
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L
Tu as raison. Non d'avoir honte pour toi, tu n'y es pour rien, mais pour elles, et eux. Toutes celles, et tous ceux qui contribuent à entretenir ce système manquent singulièrement de courage et d'honnêteté. Aller au plus facile, laisser faire. <br /> C'est pour ça qu'il ne faut rien lâcher.<br /> Merci pour tes mots :-)
A
Bonjour la Baladine,<br /> difficile de commenter un tel article, il y a toujours tant de choses à dire, il y en aurait tant à faire. <br /> Confrontée dès le plus jeune âge à la violence masculine, je ne peux qu'être sensible à ce thème, mais si je connaissais la solution... ou ne serait-ce qu'une solution.....! Je ne la connais pas..<br /> <br /> Ce qui est très complexe, c'est que l'on ne puisse qu'énoncer des faits. Alors que les choses ne se résument pas seulement à des faits, c'est bien plus complexe que cela.<br /> Tant qu'on permettra à certains hommes de tabasser ou tuer leur femme avec l'excuse qu'ils sont malades (pareil pour ceux qui tuent/violent des enfants) déjà rien ne changera. ces hommes devraient être condamnés à perpéte, ce n'est jamais le cas. Soi disant guéris ils ressortent et recommencent.<br /> Et puis la peur, Sylvie.... C'est la peur de toutes ces femmes qui est la meilleure arme de ces hommes.
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L
"Pour les "dominants", qui tirent avantage de la situation, renoncer à un privilège est toujours difficile." Tu pointes là l'essentiel du problème, même si je reste persuadée que les hommes ont tout à gagner à considérer les femmes comme leurs égales... Mais ça exige du courage de part et d'autre, et c'est une qualité bien mal distribuée...<br /> Merci d'avoir pris le temps:-)
P
Oui, difficile de commenter un tel article...<br /> Comment ne pas déplorer, avec colère, tristesse, révolte, cet archaïsme contemporain ? Cet anachronisme, devrais-je dire. Comment comprendre que ces hommes-là ne comprennent pas (ne veulent pas voir) que le "droit" qu'ils s'arrogent est un bien triste héritage de siècles d'inégalité ? Pour les "dominants", qui tirent avantage de la situation, renoncer à un privilège est toujours difficile.
L
Tant de choses, oui, un combat éternellement recommencé. Une vigilance de chaque instant. Et la peur, tu as raison, cette forme de violence contre laquelle il faut se battre, et pour combattre une violence quelle qu'elle soit, il faut commencer par la nommer. En parler. Donner les "armes", sociales, judiciaires et éducatives. <br /> L'évolution est lente, mais elle se fait. A nous de ne pas lâcher prise. Jamais.<br /> :-)
J
Au mot "féminisme".... comment dirais-je, je lui préfère : mêmes droits et libertés pour tout le monde, animaux compris ;) (tu vois, je souris) ! L'être humain est (globalement) "fou"... pour ce que tu (dé)cris si fort aujourd'hui ; pour des homosexuels condamnés à mort dans certains pays ;) dés bébés tués chaque jours le plus souvent par leur maman ; etc, etc... Le futur ne sera pas rose pour la plupart sur cetteTerre, te le dis, moi :) en ce vendredi noir... Merci pour ton émouvant hommage, partagé ! Bonne journée Baladine.
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A
Bonjour La Baladine, je suis d'accord avec toi, la parole est importante. D'ailleurs je te remercie d'OSER aborder ce sujet. Merci pour ton courage.<br /> Beaucoup de choses bougent, mais il y a encore tellement tellement de lacunes. La confusion entre brutalité, violence physique, violence psychologique dessert beaucoup. Il faudrait pouvoir expliquer des choses simples à nos filles - je reste sur le cas d'une société comme la nôtre, car simplement ici, en France où pourtant la femme est censée avoir sa place, combien de plaintes pour violences conjugales? Et combien de non-plaintes de femmes battues qui ont peur? et combien d'entre elles retirent leur plainte parce que leur "mari" (celui qui devrait se comporter comme un mari) sait devenir par un coup de baguette magique une pauvre petite victime pleurant et reniflant et la femme se laisse avoir? Ce n'est pas simple, car il faut savoir que la justice ne peut rien faire s'il n'y a pas de plainte. Sans parler de l'inconscient collectif ("la femme l'a sûrement cherché")... Ne pas lâcher prise, dis-tu... En parler, oui, mais parfois je me demande si montrer des femmes au visage abîmé ne dessert pas au lieu d'aider. Si on passait directement à cette phase là ce serait "simple"! Or, c'est fort complexe, parce que le type est comme tout le monde, et même au départ fort gentil...
L
Le féminisme est un humanisme, tu sais ;-)<br /> Les animaux ne font pas partie de mon urgence (oui je suis spéciste, sans l'ombre d'un état d'âme).<br /> Dans un monde qui traite mal la moitié de son humanité (j'ai nommé les femmes), il est quasi inéluctable que les homosexuels et les enfants soient en danger...<br /> Le monde n'est pas rose, mais il recèle pourtant de trésors de beauté! Il faut juste dire oui à la vie, à toutes les vies...<br /> :-)
D
Coucou. Je relisais la présentation de ton blog: "Agitatrice de cervelle". Et bien c'est ce que j'ai ressenti en te lisant, mon cerveau qui s'insurgeait mais surtout mon coeur de femme. Comment, au 21ème siècle, se trouve-t-on encore dans une telle situation? J'ai vu dernièrement un petit reportage sur les femmes en Inde. Là-bas, avoir une fille dans la famille, c'est presque une honte. Souvent, on les tue quand elles naissent car, quand elles seront grandes, leur dote coûtera trop cher à la famille. Une société patriarcale qui n'évolue que très très lentement. Et les hommes légitiment leur manière de penser car elle est conforme... à la tradition. <br /> <br /> Nous, femmes, devons continuer à nous insurger et faire en sorte que les modèles éducatifs évoluent. <br /> J'ai travaillé et je travaille encore dans le milieu du social. Nous avons des structures exprès pour accueillir les femmes qui subissent des violences domestiques. Mais tant qu'elles n'ont pas osé faire le premier pas, tant qu'elles n'ont pas la parole, elles ne disent rien. Les inciter à parler, à se défaire de leurs carcans est déjà un immense travail. Parallèlement, les principes éducatifs doivent évoluer. Une fille qui met une mini-jupe n'est pas une salope et ne cherche pas à se faire accoster, voire harcelée, pire abusée. <br /> Même dans nos sociétés bien-pensantes, le travail est énorme...<br /> Merci d'avoir agité ma cervelle. <br /> Bises alpines.
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L
Oui, je connais la situation en Inde. Et dans bien des pays la situation empire, comme en Turquie où chaque année le nombre de femmes assassinées augmente, avec la bénédiction d'Erdogan, ce sombre crétin pour qui une "femme sans enfants est incomplète".<br /> Oui le travail qui reste à faire est gigantesque, même si ce qui a été fait existe bel et bien, mais dans notre société française qui commence tout juste, depuis le phénomène MeeToo, à réaliser que la culture gauloise des 3 G, galanterie/grivoiserie/goujaterie ne se différencie pas de la culture du viol, on avance à petits pas, il faut bien le dire. Et évidemment ça passe par l'éducation, des filles et des garçons!<br /> C'est l'affaire de toutes et tous, et c'est du continu.<br /> Merci de ton témoignage et du partage de ton quotidien professionnel.<br /> Bises apaisantes de bon week-end ;-)
E
La liste est longue, horriblement longue, et ne s'amenuisera pas, je le crains. Les espaces lieux se déplaceront, mais je ne vois pas un futur où on pourra se dire que c'est vraiment derrière nous. Nous avons souvent pris la parole lors du me too, mais il y restera toujours ce que nous n'avons pas osé dire...
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L
Et pourtant il faut nous obstiner. Parler. Tout dire. Pourquoi se taire? Que craindre de pire que ce qui arrive déjà, depuis toujours? Les femmes sont des êtres humains libres, il va bien falloir que les hommes s'y fassent. Les hommes intelligents les soutiennent dans ce qu'il faut toujours appeler un combat. :-)