Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Histoires de vie, et de vies...

La mémoire des pierres*

Qui n'a pas vu le jour se lever sur la Seine

Ignore ce que c'est que ce déchirement

Quand prise sur le fait la nuit qui se dément

Se défend se défait les yeux rouges obscène

Et Notre-Dame sort des eaux comme un aimant

Louis Aragon, Le Paysan de Paris chante 

Il y a eu cette vision, déchirante et sublime, qui a fait l'effet d'une gifle dans les yeux. Sidération. Effroi incrédule. Notre-Dame, c'est la beauté, l'histoire, la culture, et au-delà, le lien qu'elles engendrent, la relation de chacun à l'autre, à l'esprit, à l'histoire de la nation. De ces choses qui demeurent à jamais, le garant du temps long, de ce qui dure**. La spiritualité, au sens de l'âme, n'appartient pas qu'aux croyants, et Notre-Dame appartient à tous, par la grâce notamment d'un bossu et d'une gitane, qui ont fait d'une cathédrale un symbole républicain du vivre ensemble.

Je garde le souvenir de cette houle de larmes, contenues ou versées par un peuple -un peuple, pas une foule- qui, l'espace d'un soir et une nuit, s'est retrouvé pour communier.

Aucune société ne peut se passer de lien. Aucune société ne peut se passer de communion. ***

Ce soir-là, cette nuit-là, la communion fut réelle, quasi palpable, et ça n'a rien à voir avec le divin ou le sacré, mais avec l'affirmation émouvante de ce qui lie et nous dépasse, l'humanité, la liberté, la justice, et leur nécessaire pérennité. Culture et civilisation.

Je jette le reste, complotisme, démagogie, récupération, clivages partisans. Tout ça n'est que bêtise, irréflexion, inconscience. Car ce qui se joue, sans doute, au-delà du sort des pierres, c'est la capacité de chacun, chacune d'entre nous à conserver la foi dans la liberté, et la volonté de la défendre. Mais ensemble.

Notre-Dame est debout, douloureusement, terriblement, singulièrement belle dans ses meurtrissures, et peut-être, assurément, en exposant au monde sa vulnérabilité, elle nous rappelle la nôtre. C'est ce dont il faudra nous souvenir: nous sommes, tous, toutes autant que nous sommes, fragiles, surtout quand nous laissons la colère prendre le pas sur la cohésion. Aucune civilisation n'est immortelle. Puisse la mémoire des pierres nous enseigner cela. 

*Sylvain Tesson  **Cynthia Fleury  ***André Comte-Sponville

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
À propos
La Baladine

Athée, laïque, féministe assurée et romantique assumée, universaliste, républicaine, rieuse et mélancolique, résolument positive dans un monde dépressif, agitatrice de cervelle, gratteuse infatigable du vernis des humains pour voir ce qu'il y a dessous... "Je ne fais effort ni pour qu'on m'aime ni pour qu'on me suive. J'écris pour que chacun fasse son compte." Jean Giono
Voir le profil de La Baladine sur le portail Overblog

Commenter cet article
N
Oui, elle est belletoujours et d'une si grande dignité ; à l'image des peuples blessés mais qui restent debout !<br /> Je suis contente que tu sois revenue ici. Baisers.
Répondre
L
Baisers en retour ♥
P
J'ai relu ton texte à plusieurs reprises et je suis restée incapable de le commenter......... Je l'ai beaucoup aimé dès que je l'ai lu. Je l'ai trouvé plein de douceur et de respect.
Répondre
L
C'est très gentil d'avoir pris la peine de venir le dire quand même. Merci ♥
X
Les vieilles pierres sont à notre image ; elles renferment des secrets et des silences. <br /> Elles peuvent être froides et dures, chargées d'histoires, l'histoire des hommes, friables et fragiles après un incendie. Troublante ressemblance avec nous... <br /> C'est probablement pour cela que ces édifices, ces trésors nationaux touchent l'intime et relient les hommes dans une communion, solennelle.
Répondre
L
C'est tout ça, et une histoire collective, qui nous lie et nous dépasse, et un symbole de résilience. Puisque Notre-Dame a échappé à la destruction, il nous appartient de réparer, de recréer ce lien essentiel. Ainsi que de prévenir d'autres catastrophes, ailleurs, partout. Et ça n'amène pas à oublier l'humain, mais à le rassembler.<br /> :-)
B
Sidération , chagrin et Pleurs , j'allais écrire que je me suis autorisée comme s'il fallait se défendre de l'émotion , dans ces pierres il y a la sueur , le sang de nos ancêtres , ces monuments font partie de notre Vie et comme pour certaines personnes , une fois envolées on se dit "Mince qu'ais je raté , oublié , pas assez vu , pas assez dit " j'ai pensé à Victor Hugo le visionnaire qui a décrit Notre Dame en flammes , j'ai pensé aux signes avant coureurs d'un avertissement de là haut moi qui suis sans religion et justement tout cela m'a troublée et amenée à la réflexion à ce sens , en quoi est ce que je crois ? À la Nature et aux Pierres ….Bise Sylvie merci pour ton billet écrit avec toujours beaucoup de discernement ...…
Répondre
L
C'est exactement ça: on se laisse portée par l'émotion, puis vient la réflexion sur cette émotion. Et de là, en toute irreligion pour moi comme pour toi, surgit l'importance de ce que recèlent les pierres, de l'histoire qui les traverse et a fait de nous ce que nous sommes...<br /> <br /> Merci pour le compliment final, j'essaie de faire la part des choses, je ne suis pas toujours sûre d'y parvenir. Mais j'essaie ;-)<br /> Bise :-)
P
J'ai beaucoup aimé te lire, et ta manière de ne garder de cet événement que le beau, le bon, le fort... L'essentiel quoi...
Répondre
L
Ce qui restera... loin des querelles :-) <br /> Bises
B
C'est bien de te lire.<br /> <br /> Bleck
Répondre
L
Tendre merci :-))
C
Je suis très touchée par ce beau billet, chère Baladine, billet qui "jette complotisme, démagogie, récupération, clivages partisans". Qui ne se met pas à critiquer! Tu parles simplement de la profondeur d'un chagrin commun, celui qui nous a saisis tous (oui même moi qui ne suis pas française) J'ai été comme tant d'autres, écrasée devant cette belle cathédrale qui partait en fumée, et l'impossibilité d'arrêter l'incroyable<br /> La Mémoire des pierres... c'est ce que j'ai éprouvé, ressenti fortement quand j'entre dans ce lieu. J'en ressens l'énergie magnétique, je la respire: les bâtisseurs de cathédrale ne les construisaient pas n'importe où! <br /> Merci pour ce texte, beau et qui fait du bien
Répondre
L
Je préfère ce qui rassemble à ce qui divise :-)<br /> Oui, il est ainsi des lieux, des bâtiments chargés d'histoire, dont la splendeur, loin de nous écraser, nous grandit et nous renforce dans notre humanité. C'est notre socle commun, et quand il vacille, il nous appartient de le restaurer, et de le renforcer. En toute humilité.<br /> Bise amicale
P
« Culture et civilisation », dis-tu. C'est exactement sous cet angle que j'ai été atteint, ne pensant même pas à la dimension religieuse *actuelle* de l'édifice.<br /> Je te rejoins aussi dans ce lien que tu fais avec la vulnérabilité de ce que l'on pourrait croire immuable, solide, éternel... nous rappelant à juste titre l'impermanence de toute chose.<br /> <br /> Merci pour ces mots :)
Répondre
L
Tout pareil. <br /> Merci d'être toujours présent. Et bienveillant.<br /> :-)
D
Quel beau billet et quel plaisir de te relire à nouveau. Oui, être solidaire, ensemble et reconstruire, toujours dans l'espérance. Bises alpines et merci pour Notre Dame.
Répondre
L
Tout simplement. <br /> Merci à toi. Bises maritimes. Et pluvieuses ;-)
A
Ton dernier paragraphe me rejoint intensément.<br /> Nous sommes éternellement vulnérables et paradoxalement c'est dans cette vulnérabilité que nous puisons l'intensité de la force du Vivre. Et peut-être de demeurer.<br /> (Et merci de citer mon pote Aragon !)<br /> <br /> La communion est une nécessité vitale pour l'homme et l'humanité. Que ce soit dans la douleur de cet incendie, dans la joie d'une fête villageoise où l'acclamation d'une équipe de foot qui a remporté la coupe. Toutes les communions sont nécessaires, chacune à sa légitimité, selon qui on est et ses appartenances.<br /> <br /> En prolongement :<br /> « Lequel d'entre nous garderaient face et voix humaines s'y venaient à s'éteindre ces chorales dont le chant plus ou moins voilé, tel un air de famille, en sourdine, et depuis des millénaires, d'un singe nu fait un être parlant, d'un cadavre puant, une dépouille sacrée, et d'un présente toujours fuyant une simple note dans une fugue dont la coda n'est écrite par personne ? Car si l'individu est finitude rien de ce qui est humain n'est jamais fini, ni même défini.<br /> (…) Qui peut dire que la vie d'un quidam zappeur coincé entre sa télé et son supermarché s'achèvera avec son dernier souffle, sans rejaillir un jour en énigme entre les mains d'on ne sait quel archéologue, anthropologue ou archiviste du XXVe siècle, donnera à son tour de quoi rêver et supputer aux nostalgiques chercheurs du XXXe siècle ?<br /> S'efforcer de ne pas tarir, dans l'immédiat et pour ce qui dépend de nous, ce minuscule aléatoire et vivifiant filet de mémoire, s'accrocher à ce fil d'Ariane, cela seul nous permet de prendre le pari d'un sens. » Régis Debray « les communions humaines » page 157. (fayard 2005)<br /> <br /> (Dernière petite chose… content de te revoir ici !)
Répondre
L
J'ai dit "pas forcément de les combler", et "forcément" est en trop. Le manque est proprement existentiel, et inguérissable...<br /> :-)
L
Il me semble que ce qu'on gagne le plus à lire ou écouter les philosophes, les historiens et les poètes, c'est la faculté de se décentrer, d'avoir conscience de ses propres manques pour essayer, pas forcément de les combler, mais de les dépasser... C'est pourquoi j'aime tant les citer, c'est pourquoi j'aime et admire le texte que tu as partagé.<br /> Merci. Pour tout. ♥
M
La mémoire des pierres nous content le passé pour mieux toucher du doigt l'éphémère de la vie
Répondre
L
Tout juste. Et c'est pourquoi elle est fondamentale :-)
A
"La mémoire des pierres". Déjà, il y a le choix de ton titre.<br /> Et puis tes mots.<br /> J'aime ce texte, il est beau. Et j'aime aussi la réflexion que tu as pris pour l'écrire.<br /> Bien heureuse de te lire à nouveau, Sylvie. Bonne journée :-)
Répondre
L
Pour le choix du titre, c'est Sylvain Tesson qu'il faut remercier... et puis le lire, si ce n'est déjà fait :-)<br /> Bise émue ♥
B
Très beau billet. Et surtout un grand merci de me rappeler Le paysan de Paris, d'Aragon.<br /> Bonne journée.
Répondre
L
On ne se lasse jamais d'Aragon, n'est-ce pas? Inclassable tant il se libère de toute contrainte poétique!<br /> :-)
C
C'est un magnifique billet, très émouvant, j'aurais pu en écrire un aussi, semblable, le jour-même de la catastrophe. J'étais étreinte par l'émotion, de voir ces flammes ravageuses détruire le toit de Notre Dame de Paris. Moi aussi, j'ai pensé à Hugo, comme toi. Comme beaucoup de gens attachés à la littérature et aux symboles. A la République. A la Liberté. A toutes ces belles valeurs si universelles et si malmenées...<br /> Comme toi, comme Sylvain Tesson, il m'est arrivé de nombreuses fois d'éprouver de grandes émotions dans des églises , des châteaux, des chapelles. J'ai écrit plus d'un billet à ce propos. J'ai même publié un billet sur Notre Dame, tant j'ai eu le souffle coupé la première fois que je l'ai vue. Il s'intitule Respiration. <br /> Je crois à ce pouvoir magnétique des hauts-lieux spirituels. J'admire le travail colossal effectué par les compagnons, les artisans.<br /> Aujourd'hui encore je visitais un monument historique, château de Brissac, une merveille d'architecture. Et avec mon fils architecte, je ne puis y rester insensible. Même si, je le répète, ces monuments splendides sont aussi des symboles de puissance, de domination, d'asservissement. L'oublier serait faire injure à tous ceux qui sont morts pour que nous ayons le droit d'écrire le mot république, le mot liberté, et notamment dans nos billets de blogs. Je ne l'oublie pas. <br /> <br /> Mais l'insupportable récupération, voire instrumentalisation médiatico-économico-politique de l'émotion, à laquelle nous assistons depuis une semaine m'a abasourdie et rendue perplexe. Je le suis toujours. <br /> J'ai essayé simplement d'écrire mes ressentis et mes doutes. Comme toi. En citoyenne libre et respectueuse de l'opinion d'autrui. Dans la bienveillance et l'écoute des arguments de chacun. Parce que nous sommes périssables, fragiles, contradictoires, et que personne ne détient la vérité.<br /> je t'embrasse<br /> •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Répondre
L
Je n'écris quasi jamais sous le coup de l'émotion. J'ai besoin du temps de la réflexion. C'est pourquoi j'ai attendu. C'est le fruit de cette attente et cette réflexion que je livre ici.<br /> La récupération n'est pas mon problème. J'ai le cœur assez grand, l'esprit assez ouvert pour y loger toutes les souffrances et n'en oublier aucune (je souris parce qu'il m'a été gentiment reproché d'agrandir le malheur du monde en l'exprimant). <br /> Bisou<br />
G
Heureuse de vous retrouver et merci de ces paroles toujours si justes!
Répondre
L
Merci à vous d'être là :-)
J
https://www.facebook.com/watch/?v=175009930049657<br /> <br /> avec mes excuses
Répondre
L
"Notre âme commune, chargée de spiritualité et d'histoire. Ce monument est fait de pierres vivantes, c'est à dire de notre chair et de notre sang."<br /> ♥
J
Merci à vous La Balaline pour ce beau billet.<br /> <br /> Je me permets de déposer ici le lien pour écouter la bouleversante intervention de François Cheng dans l'émission "La grande librairie" du 17 avril 19 qui nous dit, à sa façon, pourquoi Notre Dame est si importante.<br /> https://www.facebook.com/LaGrandeLibrairie/videos/175009930049657/?v=175009930049657
Répondre
L
Merci pour cet émouvant et précieux partage. :-)
E
Quel beau billet, qui te fait sortir de ton silence aussi... Oui, il y a des "landmarks" qui traversent les siècles, qui étaient là bien avant nous et y seront bien après. Nos parents en parlaient, et leurs parents, et les parents de ceux-ci. Des générations de souvenirs, d'anecdotes, de regards touristiques, religieux, artistiques, littéraires, ou des simples gens qui ne voient plus parce que c'est comme le ciel, c'est là...
Répondre
L
Et comme c'est essentiel, cette continuité... :-)