Histoires de vie, et de vies...
2 Avril 2018
Je les interrogeais. Je disais "qui êtes-vous?". Je ne sais pas ce que vous dites vous quand on vous pose cette question, mais la réponse que j'obtenais le plus souvent c'était "je suis médecin, je suis plombier, je suis prof, je suis vendeuse, je suis kiné"... Ce n'était pas ce que je voulais savoir. Ce qui est intéressant, je trouve, c'est moins ce que les gens font que ce qu'ils sont, et le chemin qui les a amenés à faire ce qu'ils font. Est-ce que c'est une vocation? Est-ce que c'est un choix? Est-ce que c'est parce qu'ils n'ont pas pu, pas su, pas osé tenter autre chose? Que rêvaient-ils de faire quand ils étaient petits? Poser de vraies questions en vue d'obtenir de vraies réponses. Et faire de vraies rencontres.
Alors voilà, qu'est-ce que vous vouliez faire quand vous étiez petits?
Si vous saviez ce que j'ai entendu de silences, de froids au cœur venus du creux de l'enfance. Paradis l'enfance? Pas plus vert que perdu, tiens! Ecoutez, si vous tendez l'oreille, vous les entendrez, derrière les visages adultes, ces pleurs d'enfants qu'on a punis à tort.
Vous avez déjà compté vos silences?
Elles m'ont parlé, ils m'ont parlé de leur enfance. Le plus souvent, ça commençait par "j'ai eu une enfance heureuse"... "je n'ai manqué de rien"... "je n'ai pas eu à me plaindre"...
Et puis doucement "enfin bon, quelques gifles, des fessées, quelques humiliations, mais ça c'est normal, non, comme tout le monde, quoi... c'était pour mon bien"...
Elle disait "j'ai de bons souvenirs. Mais c'est vrai, il fallait ne pas faire trop de bruit. Ne pas poser de question. Ne pas contredire. Ne pas prendre la parole en premier. Ne pas jouer bruyamment. Ne pas déranger." Elle soupirait "comme j'étais plutôt remuante, plutôt bavarde, je me prenais des roustes. Bah, je n'en suis pas morte, hein! Mais parfois je me demande si c'est bien de faire en sorte que les enfants se taisent à tout prix..."
Il disait "c'est drôle, je n'ai pas pratiqué le sport dont je rêvais. Je n'ai pas joué de l'instrument dont je rêvais. Je n'ai pas fait les études dont je rêvais... J'ai suivi le désir de mes parents. Ils me disaient: choisis, et quand j'avais choisi, ils tranchaient: ce serait mieux si tu faisais ça." Il réfléchissait. "Tu crois que quand on aime ses enfants, on les fait taire?"
Elle disait "mes parents étaient séparés, ma mère avait la main leste, pourtant elle ne me prenait que le week-end, et encore, pas toujours, j'ai été pensionnaire de la sixième jusqu'au bac. Bon, j'ai bien dû les mériter, ces gifles. Et puis, ça ne veut rien dire... mon père, lui, oubliait de venir me chercher; il était du genre à me souhaiter mon anniversaire six semaines après, au fait, bon anniversaire!" Elle réfléchissait "en fait j'ai toujours eu l'impression que mon père ou ma mère me prenaient quand je faisais bien dans le tableau; mais je suis restée la pièce en trop. Je n'ai rien fait de ce dont je rêvais. On n'a jamais cessé de me faire taire, depuis que je suis petite."
Et lui racontait "j'ai repris la petite boîte que mon père avait montée. Ce n'était pas ce que je voulais faire, mais ça lui aurait fait trop de peine... Je ne vais pas me plaindre, mais bon... Mon fils fera ce qu'il voudra, lui."
Et elle avouait "je manque absolument de confiance en moi. Je ne sais pas d'où ça me vient. Mes parents disent que j'ai toujours été comme ça. Craintive. Pleureuse. Braillarde même. Il fallait toujours me faire taire, c'est ce qu'ils disent." Elle s'arrêtait, et moi je lui disais "et maintenant?" et elle répondait " ma fille est comme moi. On est assez fusionnelles..." Un silence "j'aurais peut-être dû partir loin, m'éloigner de mes parents, de ma rue natale, je n'ai pas su, je n'ai pas pu.Tu crois que j'aurais dû? Ça me vient bien de quelque part, de quelque chose? Est-ce qu'on naît déjà comme on est, comme on va être?"
Et lui aussi "j'ai eu beaucoup de mal à partir. Je me sentais coupable. Voir la vie autrement qu'avec leurs yeux, faire d'autres choix, c'était comme renier ce qu'ils étaient. Pas facile..." Il se taisait, reprenait "je l'ai fait, mais je sens bien qu'ils ne comprennent pas. Ils ne me posent jamais de questions sur ce que je fais. Ça leur est étranger, ça ne les intéresse pas." Un soupir "c'est comme ça, c'est un peu triste, comme si je n'existais pas tout à fait, comme si une part de moi n'était pas tout à fait vraie, comme si j'avais failli... mais à quoi?"
J'entendais. J'écoutais. Je comptais les silences sur les froids de leur cœur d'enfant. Ces enfants qu'on n'a pas voulu entendre, écouter. A qui on a surtout appris à obéir, se taire et mettre au pas leurs battements de cœur. Sois raisonnable. Sois docile. Sois comme je te dis que tu dois être. Tu es comme ça. Tu n'es QUE ça. Autant d'estafilades à la confiance, de meurtrissures au devenir soi. Parfois, c'est tellement réussi qu'ils finissent par ressembler tout à fait à n'importe qui.
Et vous? Est-ce qu'on vous a aussi fait taire quand vous étiez petits?
Crédit photo:André de Dienes
Athée, laïque, féministe assurée et romantique assumée, universaliste, républicaine, rieuse et mélancolique, résolument positive dans un monde dépressif, agitatrice de cervelle, gratteuse infatigable du vernis des humains pour voir ce qu'il y a dessous...
"Je ne fais effort ni pour qu'on m'aime ni pour qu'on me suive. J'écris pour que chacun fasse son compte." Jean Giono
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